Démystifier la voyance peut nous
permettre de mieux comprendre le fonctionnement de notre psychisme.
Eclairage d’une voyante rationnelle.
Avons-nous nous tous accès à des perceptions dites extrasensorielles ?
Dans notre culture, la télépathie, la clairvoyance et la précognition ne
sont pas supposées exister en tant que telles. Aussi, nous avons
produit des dispositifs intellectuels destinés à réduire efficacement
les capacités psychiques non conventionnelles à ce qu’elles ne sont pas :
une comédie, des coïncidences, de simples effets de sens, des symptômes
de pathologie psychiatrique, etc. Pourtant, chacun de nous en est
capable, de manière latente. Des cultures favorisent l’emploi de ces
capacités, et d’autres le stérilisent, ce qui est le cas de la nôtre.
Aussi, la plupart des individus sont absolument convaincus de ne pas
posséder ces capacités.
Comment comprenez-vous que de nombreuses personnes pensent que la voyance est une forme de surinterprétation, d’illusion ?
Je le prends comme les chercheurs en sciences humaines le prennent,
c’est-à-dire comme un discours de déni, articulé par des motivations qui
sont liées à la peur, liées à l’anxiété, des motivations de
préservation identitaire, et pas du tout des propos scientifiques. Il
convient d’envisager la voyance pour ce qu’elle est : une ressource
étonnante qui permet, depuis la préhistoire et sur tous les continents,
de faire de meilleurs choix, et que notre culture a préféré occulter
pour des raisons essentiellement politiques et philosophiques. Il faut
se défaire de cette croyance qui veut que nous soyons limités à nos sens
physiques connus. On accède à ces capacités comme à notre mémoire. Et
la mémoire c’est quoi ? Si je vous dis :
« Stéphane, rappelez-vous de votre dernier Noël »,
vous allez avoir des souvenirs, des odeurs, des images ; vous allez
aussi avoir des impressions. Certaines seront subjectives :
« C’était bien, ce n’était pas bien » ; certaines seront objectives :
« On était dix. »
Or, quand on reconstruit une information extrasensorielle, ça se passe
exactement comme la mémoire : des informations vous viennent par tous
vos sens et vous les reconstituez. Il faut se détourner de la certitude
d’impuissance acquise dans laquelle nos sociétés nous mettent, en
travaillant avec ce que tout le monde possède, c’est-à-dire la mémoire.
Tout le monde accepte de se dire : je peux me rappeler mes souvenirs
d’enfance, je peux me rappeler mon premier amour. Mais ce que l’on
accepte difficilement – il faut presque s’y prendre par la ruse pour que
cela se produise – c’est de se dire que l’on peut aussi avoir la
mémoire de n’importe quelle histoire qui s’est passée autrefois, qui
appartient à quelqu’un d’autre, ou qui se passera dans le futur et qui
ne nous appartient pas.
Comment juger de la pertinence de son sixième sens ? Si, par
exemple, j’essaye de faire un petit exercice pour « voir » ce que fait
ma femme à l’instant où nous parlons, comment savoir si je suis en train
d’imaginer ou si je la perçois vraiment ?
Vous soulevez quelque chose d’intéressant. D’abord, travailler sur votre
femme n’est pas une bonne idée pour un premier exercice, parce que vous
avez des sentiments pour votre femme. Or, plus vous êtes encombré par
les émotions, moins vous « voyez ». Je me rappelle toujours ce maître
spirituel en Inde qui entraîne (désolée pour le terme « entraîne » ça
fait patinage artistique, mais il le dit comme ça) les oracles de Sa
Sainteté le Dalaï-Lama, et qui disait :
« L’état naturel de la conscience, c’est la voyance ; si on ne voit pas, c’est qu’on est pollué par le désir et par la peur ». Et c’est exactement ça !
Qu’est-ce que vous conseilleriez de faire aux gens qui se découvrent ce genre de capacités ?
De prendre l’habitude de tout noter et de tout vérifier. Quand ils se disent :
« Je crois avoir fait un rêve prémonitoire »,
le noter ; quand ils ont l’impression d’être en train de prévoir un
événement, l’écrire ; et toujours comparer ce qu’ils ont imaginé ou vu
et ce qui finit véritablement par se produire. Cette confrontation est
très importante, d’abord parce que vous avez des gens qui, confrontés à
l’émergence de leurs capacités, commencent par penser qu’ils sont fous,
ou vivent dans une très grande crainte de la pathologie. Ensuite vous
avez ceux qui pensent – et c’est souvent beaucoup plus grave encore –
qu’ils sont des élus, c’est-à-dire qu’ils surinterprètent dans le
religieux. Il arrive que des gens, parce qu’ils font un rêve
prémonitoire, s’imaginent détenteurs d’un pouvoir absolument incroyable,
ou avoir une mission. Et là, de fous qu’ils n’étaient pas, fous ils
deviennent… sur un mode pas forcément très sympathique.
Comment faut-il écouter sa petite voix intérieure alors ?
Il « faut » écouter sa petite voix intérieure. Sauf que chaque fois que
l’on parle « d’écouter sa petite voix intérieure » en Occident, on parle
du désir. Or, la voyance ce n’est pas de la pensée, ni de la déduction,
ni des représentations qui seraient inspirées par nos désirs et nos
craintes. Dans ma vie et dans mon travail, j’ai rencontré des centaines
de femmes dont la « petite voix intérieure » disait que le monsieur dont
elles étaient amoureuses allaient les épouser ; le problème, c’est
qu’il était parfois marié avec une autre ! Je crois que dans un premier
temps il convient d’éviter d’accorder trop d’importance à ce que nous
imaginons être notre voix intérieure lorsqu’elle nous donne des
informations qui renforcent considérablement nos peurs ou nos désirs.
J’ai vu énormément de gens qui étaient par exemple persuadés qu’ils
allaient mourir. Or, dès qu’il y a une très grande crainte ou un très
grand désir, il faut être extrêmement prudent par rapport à ce type de
ressenti. Imaginer que des gens que nous aimons vont avoir un grave
accident de voiture, imaginer une vie commune avec un tiers dont on est
tombé follement amoureux, c’est là-dessus que notre « intuition »
dérape. Je dirais qu’au départ, moins vous êtes affecté, plus ce que
vous voyez va être potentiellement avéré. Ce qui ne veut pas dire qu’on
ne peut pas arriver à obtenir des informations de clairvoyance sur ce
qui nous fait peur ou sur ce que nous désirons – mais cela demande des
années de pratique.
En fait, tout votre travail tend à sortir ces perceptions du magique ?
Oui, et également à réaffirmer l’importance que ces perceptions ont,
c’est-à-dire qu’on a affaire à une capacité d’information nouvelle, une
capacité d’information qui est juste, et largement aussi juste que les
capacités d’information sensorielles dites classiques. Maintenant, ce
n’est pas parce qu’elles existent qu’elles ont tous les droits. Je suis
notamment toujours effarée lorsqu’une personne ressent ou « voit »
quelque chose sur une autre personne, de constater avec quelle
gourmandise elle se précipite pour aller raconter au « bénéficiaire » ce
qu’elle a perçu le concernant – alors qu’il n’a rien demandé !
Ça n’est pas parce qu’on ressent des choses sur quelqu’un qu’il faut les lui dire ?
Non, certainement pas ! Il faut un cadre. Dans toutes les cultures qui
ont intégré la divination, elle a lieu dans un cadre qui est extrêmement
rigoureux. C’est parce que notre culture est dans le déni de ces
capacités qu’il n’existe chez nous aucun cadre, ce qui a pour
conséquence que quand elles émergent, c’est bien souvent avec leur lot
de catastrophes.
Quelle genre de catastrophes ?
Tout ce que nous avons dit durant cet entretien : l’impossibilité pour
ceux qui les vivent de les intégrer, le fait d’y accorder trop peu
d’importance ou au contraire beaucoup trop, l’impossibilité de les
utiliser d’une manière éthique, c’est-à-dire sans que ça devienne une
nuisance, ou un outil de pouvoir sur l’autre, ou encore un sujet de
culpabilité comme lorsque l’on fait un rêve prémonitoire portant sur un
accident d’avion par exemple. Evidemment que non, la personne qui a fait
ce rêve n’est pas responsable ! Chaque seconde, des milliers d’êtres
humains sont torturés dans des geôles, des enfants meurent de faim. Vous
ne le voyez pas, parce qu’il n’y a pas de caméra vidéo dans les
chambres de torture. Simplement, parce qu’on est dans l’extrasensoriel,
on se croit dans la mission. Quand bien même je vais rêver d’un avion
qui s’écrase, il va y avoir 300 personnes qui meurent, et c’est
absolument tragique et terrible pour leurs familles – mais il y a
combien d’êtres humains aujourd’hui qui sont emprisonnés dans des
conditions absolument abominables ? Combien d’enfants vendus dans les
maisons closes ? Est-ce que ces gens se mobilisent sur ces questions ?
Il faut revenir à des choses simples, du bon sens – ce n’est pas parce
qu’une perception est extrasensorielle qu’elle est importante. Si je
vais sur le site d’Amnesty International, je vais trouver des choses
très importantes, beaucoup plus importantes que mes perceptions
extrasensorielles.